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Interview de Loïc Rocard (X91), président de l’AX

Presse

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03/10/2023

Le 26 septembre dernier, Laura Chaubard (X99) et Thierry Coulhon ont été nommés pour diriger respectivement par intérim l’École polytechnique et l'Institut Polytechnique de Paris (IP Paris). Ils ont pour première mission de mener à bien une refonte majeure de gouvernance des deux établissements, historiquement pilotés par l'ancien président de l'X.

À l’occasion de cette nomination, lors d’une interview accordée à l’AEF info, Loïc Rocard s’est exprimé sur la vision qu’il porte du rôle et des missions de l’X, sur la légitimité de sa nature militaire, sur l’influence du corps des Mines et de ses "grands anciens", ainsi que sur la place de l’AX et de la Fondation de l’X.

 

Découvrez son interview, que nous relayons ci-dessous avec l’aimable autorisation de l’agence de presse AEF info.

 

AEF Info, dépêche n° 699779, par Sarah Piovezan

 

Loïc Rocard (AX) : "L’IP Paris doit dépasser sa fonction de marque ombrelle pour devenir un vrai institut de recherche"

"Je pense que l’IP Paris doit dépasser sa fonction de 'marque ombrelle' pour devenir un vrai institut de recherche. Charge ensuite aux écoles de voir ce qu’elles y apportent en termes de formation", déclare à AEF info Loïc Rocard, PDG de TechnicAtome, élu président de l’AX (l’association des diplômés de Polytechnique) le 20 juin dernier. Alors qu’une double nomination intérimaire et inédite vient d’être annoncée à la présidence de l’X (Laura Chaubard) et de l’IP Paris (Thierry Coulhon), et tandis que l’école de Palaiseau fait l’objet de vives critiques (lire sur AEF info), Loïc Rocard s’exprime pour la première fois sur la vision qu’il porte du rôle et des missions de l’X. Il s’exprime aussi sur la légitimité de sa nature militaire, sur l’influence du corps des Mines et de ses "grands anciens", et revient sur la place de l’AX et de la Fondation.


AEF info : Pourquoi avez-vous décidé de vous présenter à la présidence de l’AX cette année (lire sur AEF info) ?

Loïc Rocard : Ce n’était pas dans mes plans de devenir président quand je suis entré au CA de l’AX, en juin 2022, mais plusieurs collègues m’ont chaleureusement incité à me présenter, peut-être parce que j’avais l’expérience de la direction générale de deux entreprises et que j’ai été membre de plusieurs conseils d’administration. C’est une élection de second rang, donc le président est issu du CA, et le mandat dure un an, renouvelable trois fois. Au bout de 6 ans à mon poste à TechnicAtome, j’ai considéré que je pouvais prendre un peu de temps pour cette fonction.

L’AX, c’est une association qui fait vivre l’entraide et la solidarité entre les anciens, qui soutient ceux qui ont eu des malheurs ou leurs familles. Elle organise le fameux gala annuel, édite la revue mensuelle "La Jaune et la Rouge", publie l’annuaire, organise les petits-déjeuners polytechniciens, abrite plus de 100 groupes thématiques, et compte une quinzaine de salariés à temps plein ou partiel. Yves Demay, son délégué général, apporte sa fibre naturelle de patron, et moi-même, j’ai vocation, comme président, à incarner l’association, à prendre la parole et à "synthétiser l’esprit général".

Je souhaite aller plus loin dans l’adhésion des jeunes générations au projet de l’amicale : souvent, les anciens lui sont très fidèles, mais c’est moins évident pour les plus jeunes, qui sont moins sensibles au concept. L’enjeu est de faire ce grand écart et de leur faire bénéficier aussi de nos services et infrastructures (bureau carrières, tutorat, mentorat, etc.).


AEF info : Quel est votre niveau de connaissance et de proximité avec le monde académique en général ?

Loïc Rocard : D’abord, j’ai toujours considéré les questions d’éducation comme essentielles. J’ai aussi toujours gardé un œil sur la spécificité du modèle français, en étant d’ailleurs assez dubitatif par rapport aux critiques à l’emporte-pièce qui lui sont faites. Ce qui m’inquiète davantage dans le paysage éducatif français, c’est la baisse du niveau dans le secondaire : j’ai trois enfants, j’ai pu en voir un échantillon.

En ce qui concerne mon parcours, j’ai effectué mon école d’application dans l’aviation civile, la première année à l’Enac, la 2e à l’École des Ponts, tout en suivant une licence d’histoire à l’université Paris-IV. J’ai aussi fait un MSc à Berkeley, aux États-Unis, l’année suivante.

Par la suite, j’ai commencé ma carrière, rattaché au ministère de l’Équipement, à Aéroports de Paris, avant de rejoindre Vinci, puis le cabinet du Premier ministre (Manuel Valls puis Bernard Cazeneuve) pendant trois ans. J’ai été nommé PDG de TechnicAtome il y a 6 ans, une entreprise qui construit notamment les réacteurs nucléaires de nos sous-marins militaires et du porte-avions. 


AEF info : Vous connaissez donc bien la haute administration publique et les grands corps. Que pensez-vous des critiques récurrentes qui sont faites au corps des Mines, en particulier sur l’influence qu’il a sur l’École polytechnique ?

Loïc Rocard : Je crois que c’est une vision des choses assez datée. La filière "cabinet ministériel/propulsion à la tête d’une entreprise publique" n’existe plus ! Moi, c’est plus parce que j’avais dirigé une société et fait un bout de ma carrière dans l’ingénierie que j’ai été nommé à TechnicAtome par le comité de sélection, ce n’est pas un fléchage ministériel. De plus, les conflits d’intérêts sont scrutés de beaucoup plus près qu’avant.


AEF info : L’AX et les "grands anciens" - certains capitaines d’industrie - sont eux aussi souvent considérés comme extrêmement influents dans la conduite des affaires de l’X, comme par exemple quand, en 2015, une délégation d’alumni s’est rendue à l’Élysée pour dire tout le mal qu’elle pensait du projet de regroupement au sein d’une grande "université Paris-Saclay". Quelle est aujourd’hui votre position quant à l’avenir de l’IP Paris ?

Loïc Rocard : Je pense que l’IP Paris doit dépasser sa fonction de "marque ombrelle" pour devenir un vrai institut de recherche. Charge ensuite aux écoles de voir ce qu’elles y apportent en termes de formation. Pour moi, il n’y a pas de conflit d’ordre philosophique : les grandes écoles sont des établissements qui valent par le niveau de leurs élèves et de leurs professeurs.

La recherche soutient l’ensemble, mais ce n’est pas pour elle que les étudiants sont là, c’est pour la qualité des enseignements, pour les autres élèves, pour les perspectives de carrière, etc. Or, pour avoir un corps professoral brillant, il faut avoir un "back office" de recherche puissant, donc je suis tout à fait convaincu de la nécessité de faire prospérer l’IP Paris, et je n’ai pas peur que la recherche en devienne son cœur. L’époque du dilemme Paris-Saclay est passée, il n’y a pas à rejouer le match. Et si le rôle des anciens a été celui que vous dites en 2015, il n’y a pas à le regretter !

Cela dit, l’AX n’aurait pas la légitimité pour peser sur ce qui se passe à l’intérieur de l’école, elle est là en soutien à la direction. C’est une fonction modeste. Elle n’a pas non plus de rôle de financement, c’est la fondation qui est le bras armé de l’école pour attirer des dons d’entreprises et de particuliers. Nous sommes bien sûr coordonnés, nous faisons partie du CA l’un de l’autre et nous prenons des positions ensemble, comme la tribune co-signée sur la "boîte à claque".


AEF info : Récemment, l’ancien directeur de l’enseignement et de la recherche de l’École polytechnique, Yves Laszlo, a dressé un tableau très sombre de la situation, considérant que "le poids des tutelles, du passé et des anciens est là" et que "le monde bouge pendant qu’IP Paris et l’X piétinent dans des schémas dépassés" (lire sur AEF info). Il remet en particulier en question la nature militaire de l’X, qui serait "un handicap", notamment pour sa capacité d’innovation. Qu’en pensez-vous ?

Loïc Rocard : Ce qui est difficile à appréhender pour certains, c’est que l’immense majorité des élèves et des anciens élèves sont très attachés à ce particularisme. C’est une partie d’un tout : l’X est une école militaire, et elle l’a toujours été, à part quelques années à sa création. Je crois même que les élèves d’aujourd’hui y sont plus attachés qu’à mon époque. C’est un fait. La formation humaine et militaire dure 8 mois, et c’est une expérience très structurante pour la suite de la carrière et de la vie. Les élèves se fichent bien de savoir si ça rentre ou pas dans le LMD ! C’est une pause obligatoire.

Quant au rapport de l’école avec la recherche et l’innovation, je pense qu’il est assumé : les candidats qui veulent poursuivre une carrière dans la recherche, déjà, choisissent plutôt les ENS que l’X lors des concours, ou bien ont entamé un cursus universitaire. Donc il n’est pas interdit de penser que de toute façon, une majorité d’élèves qui entrent à l’X ne fera pas de recherche, même si environ 30 % font une thèse et, parmi eux, une partie des fonctionnaires des corps techniques. Sur ces 30 %, de l’ordre de la moitié poursuit dans la recherche. C’est quand même significatif.

Mais la mission de l’X, c’est de fournir des bataillons de diplômés dans tous les domaines, aptes à contribuer, à son échelle, à ce que la France reste la France. La recherche est une partie de cette mission. Et l’X a un bilan globalement positif, n’est-ce pas ? Il n’y a pas de raison de regretter tout ce qui a été fait. Où que ce soit dans le monde, quand vous sortez de l’X et que vous poursuivez dans un master à l’étranger, vous êtes largement capable de suivre le cursus et d’enchaîner sur un PhD. C’est donc, à mes yeux, un faux problème.


AEF info : Une double nomination inédite, qui distingue les fonctions de président de l’X et de président de l’IP Paris, vient d’être annoncée (lire sur AEF info). Cela va-t-il dans le bon sens à vos yeux, et pourquoi ?

Loïc Rocard : On voit bien que pour faire croître l’IP Paris, au-delà de la phase de lancement qu’a conduite énergiquement Eric Labaye, il faut éviter deux écueils pour ses dirigeants : la suspicion d’une affaire contrôlée de trop près par l’X, et le manque de priorité par rapport aux affaires courantes des écoles. La réponse des pouvoirs publics, consistant à nommer un président à temps plein à l’IP Paris, me semble dès lors aller dans le bon sens. Le bon alignement avec la direction de l’IPP est un objectif évident et qui devrait apparaître dans les feuilles de route des écoles qui l’ont constitué. À condition d’être un peu patient, il y a toute raison d’être optimiste pour la suite.


AEF info : La formation polytechnicienne, qui est finalement plus orientée "maths et sciences fondamentales" qu’école d' "ingénieurs" à proprement parler, vous paraît-elle adaptée aux enjeux actuels ?

Loïc Rocard : C’est vrai que la formation à l’X est très calculatoire, même la mécanique y est abstraite, dans mon souvenir. Les écoles d’application ne viennent qu’après. Mais cela a aussi évolué avec le temps : avant, le cursus reposait beaucoup sur du tronc commun. Maintenant, ce tronc commun est réduit à 4 mois, et après, les élèves choisissent tous leurs enseignements dans une série de matières, et font beaucoup plus de travaux de groupes. Il n’y a presque plus rien de commun entre deux Polytechniciens, et c’est pertinent : il n’y a pas de raison d’avoir un moule, tant que le niveau d’exigence est là, qui reste la signature de l’école et le viatique pour réussir ses études.

L’école s’est aussi ouverte aux élèves de BCPST, et ça se passe très bien, alors que leur niveau en maths est éloigné de celui des MP. Cela veut dire que c’est accessible. Il reste enfin la spécificité de l’X en SHS, toujours très appréciée. En tant qu’employeur, je vois des jeunes très variés sortir de cette école, et accéder à des carrières qui vont de l’expertise au management général. Le souvenir commun qui reste, c’est celui de la difficulté et de l’adversité, ce qui est très formateur.


AEF info : Comme tous les établissements d’ESR français, même si elle n’est pas la plus à plaindre, Polytechnique est elle aussi confrontée à un problème de ressources. Qu’avez-vous pensé des échecs successifs de l’implantation de Total, puis de LVMH (lire sur AEF info), sur le campus ?

Loïc Rocard : La relation grandes écoles/entreprises est structurante et représente une part non négligeable des financements. Et sera probablement amenée à augmenter. Là, il s’agit d’une question immobilière, dans un endroit bien particulier qui n’est plus du tout la campagne : le campus de l’X est devenu une zone dense, et la réactivité de certains sur ces sujets ne m’étonne pas, c’est dans l’air du temps. Les tiraillements sociaux existent, c’est un fait.

Il est important de trouver les moyens de continuer ces collaborations. Nous souhaitons la pérennité du modèle économique de l’X, et tout ce qui y contribuera ira dans le bon sens. Comme je le disais, l’AX n’a pas vocation à lever des fonds, mais elle peut jouer un rôle de tiers de confiance, d’apaisement et de modération, entre les élèves, l’école et les entreprises. Elle est par nature et par statut apolitique.


AEF info : Faut-il continuer à verser une solde aux élèves polytechniciens, ce qui renchérit d’autant le coût de leur formation ?

Loïc Rocard : La solde est une fraction très minoritaire du coût total d’un élève de l’X, et en plus, le remboursement de la "pantoufle" vient en quelque sorte en regard de cet avantage. J’ajoute que c’est un facteur d’attractivité pour l’école, et que cela va bien avec l’idée d’école républicaine et méritocratique. Je sais que ce concept est parfois battu en brèche par l’idée qu’il existe des "générations de Polytechniciens", mais la réalité est que lorsqu’on aime les maths dans une famille, on en fait faire naturellement à ses enfants.

Ce qu’il faut, c’est aller proposer du soutien dans les lycées, en maths et en sciences, pour aider ceux qui n’ont pas la chance d’avoir des parents pour le faire. Nous avons le projet de renforcer cela avec l’AX pour que de plus en plus de jeunes de tous horizons puissent rejoindre les écoles d’ingénieurs. Le pays n’a pas fini d’avoir besoin de beaucoup d’ingénieurs.

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