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Sophie Germain (1776-1831), membre d’honneur de l’AX

Presse

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25/03/2022

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Dans le cadre des célébrations du cinquantenaire de l’ouverture du concours de l’X aux femmes, le conseil d’administration de l’AX a décidé de nommer Sophie Germain membre d’honneur de l’Association.

 

Retrouvez ci-dessous l’éditorial de Marwan Lahoud (X83), président de l’AX, paru dans l’annuaire 2022.


En cette année du cinquantenaire de l’admission des jeunes filles à l’École polytechnique, il m’a paru judicieux d’honorer la première femme qui aurait voulu être élève de l’X. Je veux parler de Sophie Germain.

Sophie Germain est connue des mathématiciens d’aujourd’hui pour ses travaux en théorie des nombres (nombres premiers de Sophie Germain pour lesquels elle démontre le théorème de Fermat), en géométrie différentielle (courbure et première forme du Theorema Egregium de Gauss) et en mécanique des solides (modélisation des plaques vibrantes).

Son œuvre est évidemment beaucoup plus riche, sans compter tous ses inédits qui ont été repris par ses collègues masculins notamment Legendre, Poisson ou même Gauss. Il est vrai qu’elle vit à une époque où l’on considère que les sciences « ne sont pas des affaires de femmes » comme le dit le fonctionnaire qui établit son certificat de décès et refuse de l’y faire figurer comme scientifique. Elle devra se contenter de la mention « rentière ».

C’est en 1789, alors qu’elle a treize ans, que se développe son goût pour les sciences. Née dans une famille parisienne aisée et cultivée, elle découvre dans la bibliothèque de son père, commerçant en soie et tissus, des ouvrages de mathématiques, notamment le cours d’Étienne Bézout.

Ses parents tentent dans un premier temps de la décourager, craignant de ne pouvoir la marier à un bon parti ainsi que la coutume et les bonnes mœurs l’exigeaient pour les jeunes filles de l’époque. Devant son obstination, ils finissent par la laisser faire et même la soutenir, financièrement notamment. Ce soutien familial sera poursuivi par ses deux sœurs jusqu’à la fin de ses jours.

Elle a donc dix-huit ans en 1794 quand est recrutée la première promotion de l’École centrale des travaux publics, rebaptisée dès l’année suivante École polytechnique. Souvenons-nous du contexte. Les pères fondateurs ont pour ambition de recruter, pour servir le pays, les meilleurs jeunes gens et partent du principe que les meilleurs se trouvent partout et dans tous les milieux sociaux. Deux-cent-trente ans plus tard ce besoin de diversité sociale est toujours sur le devant de la scène. Ils font donc un tour de France pour sélectionner les 381 élèves de la 1794.

Ceux-là sont, à l’issue de ce « concours », convoqués à Paris pour début novembre 1794. L’École n’avait pas de bâtiments en propre, les cours ayant lieu à l’Hôtel de Lassay et les élèves logeant dans leurs familles pour les parisiens ou confiés à des « pères sensibles » pour les provinciaux qui forment l’essentiel du contingent.

La plupart sont « enragés de travail », comme le dit Michelet mais quelques-uns renoncent assez vite. Parmi ceux qui s’éclipsent discrètement, sans doute pour rejoindre l’armée du Rhin, se trouve Le Blanc ou Leblanc, Antoine, Auguste. Son départ est tellement discret que les professeurs de l’École polytechnique, les « instituteurs » comme on les appelait à l’époque, ne réalisent pas que les devoirs portant son nom, qu’ils continuent de recevoir, sont, à l’évidence, l’œuvre de quelqu’un d’autre.

Leblanc est tellement brillant que Lagrange, impressionné par la complexité et la rigueur de ses analyses finit par « le » convoquer. Quelle ne fut pas sa surprise quand il « la » rencontra car, vous l’avez compris, le clandestin était Sophie Germain. Sa relation avec le vrai Leblanc fait l’objet de spéculations. Il aurait été logé chez les parents de Sophie ou plus vraisemblablement chez des voisins. On perd sa trace à son départ fin 1794, d’autant que Sophie continua d’utiliser son identité dans nombre de ses correspondances.

Quand en 1801, Legendre invite Sophie à lire les Disquisitiones arithmeticae de Gauss, c’est Monsieur Le Blanc qui entretient une correspondance très féconde avec le prince des mathématiciens. Il est notamment prouvé que c’est Sophie alias Le Blanc qui démontre pour Gauss trois théorèmes relatifs à la réciprocité quadratique. Il ne découvrit la véritable identité de cet assistant si précieux qu’en 1806 quand le général Pernety en charge de la « pacification » de la région de Breslau (Wroclaw aujourd’hui) envoya son aide de camp – était-ce le vrai Le Blanc ? Nul ne le sait– pour évacuer Gauss, avant l’entrée de ses troupes dans la ville.

Il lui fut indiqué, en guise d’explication, que Sophie Germain alias Monsieur Le Blanc avait demandé que le général l’invitât à dîner. Il lui écrivit une lettre pour la remercier et lui exprimer son étonnement de voir chez elle un goût des sciences qu’il croyait jusqu’alors réservé aux hommes. Il n’eut pas la même élégance quand quelques années plus tard Sophie, atteinte du cancer qui allait l’emporter, lui ayant adressé plusieurs courriers lui demandant son avis sur ce qu’elle croyait être des avancées en théorie des surfaces, il ne répondit pas. Puis il publia son theorema egregium, reprenant et généralisant ce que Sophie lui avait adressé.

Personnalité admirable, figurant dans la rubrique clandestine dans le remarquable Portraits de polytechniciens de Christian Marbach, j’ai proposé au conseil de notre association de la nommer, 191 ans après sa mort, membre d’honneur de l’Association des anciens élèves et diplômés de l’École polytechnique.

 


La version papier de l’annuaire des élèves et anciens élèves de l’X est réservée aux membres de l’Association.

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© Photo : Collections École polytechnique – Palaiseau

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