À l’occasion du colloque « Enseigner les sciences : constats et perspectives », organisé conjointement par l’association des anciens de Polytechnique (AX) et celle des anciens de l’ENS de la rue d’Ulm (a-Ulm) le 20 mars 2025, Loïc Rocard (X91), président de l’AX, et Martin Andler, président de l’a-Ulm, ont co-signé une tribune publiée dans Les Échos, abordant la crise de l’enseignement des sciences.
Découvrez l’intégralité de la tribune ci-dessous.
L’enseignement des sciences est en crise
Il y a de quoi s’inquiéter : les performances en sciences de nos élèves ne sont plus du tout ce qu’elles étaient, alors que la France a longtemps excellé. Selon l’étude internationale PISA à 15 ans, elles sont désormais très moyennes, et, d’après l’autre étude internationale, TIMSS (aux niveaux CM1 et 4e) franchement mauvaises. Par rapport aux économies comparables le tableau est accablant. Le niveau moyen de nos enfants est faible et en déclin, nous avons un nombre croissant d’élèves évalués comme très très faibles, la corrélation avec l’origine sociale des élèves se renforce, et de surcroît l’écart filles-garçons face aux mathématiques s’aggrave.
Contrairement à une idée reçue, le système français forme désormais beaucoup moins d’élèves de très bon niveau. À titre d’exemple, l’étude TIMSS classe les élèves en cinq niveaux : seuls 3 % des élèves français de 4e (soit environ 25.000) atteignent le niveau le plus élevé en mathématiques, contre 11 % en moyenne OCDE. Si l’on compare aux seuls besoins en ingénieurs et scientifiques pour innover et réindustrialiser, il y a en effet de quoi s’inquiéter.
Manque d’ouverture
Si les institutions les plus sélectives ne sont pas, à ce stade, directement touchées par la dégradation du niveau - puisqu’elles accueillent la pointe encore très brillante de nos élèves l’ensemble des établissements d’enseignement scientifique en subissent les conséquences. Circonstance aggravante à tous les niveaux : le manque d’ouverture réelle du recrutement. Les enfants des classes populaires y ont toujours été minoritaires, mais des biais plus récents ont dégradé la situation. Pour ce qui concerne les disciplines les plus mathématisées, les jeunes femmes sont, qui plus est, en nombre marginal. Tout cela limite le vivier de talents potentiels.
Des travaux d’économistes ont montré que la stagnation de la productivité du travail en France est pour partie imputable au recul du niveau en mathématiques.
Depuis plus de dix ans, des efforts réels ont été faits par les établissements d’enseignement supérieur (Polytechnique, les ENS et bien d’autres écoles et universités) et par de nombreuses associations périscolaires. Mais les résultats restent limités : pour un vrai passage à l’échelle, il faut agir plus fort, très tôt, à l’école comme à l’extérieur.
Le mérite scolaire a toujours été au coeur de l’accès des étudiants aux filières les plus exigeantes, et cela doit rester le gage de la légitimité républicaine. Il faut cependant voir la réalité : le parcours vers les études scientifiques comporte des obstacles disproportionnés pour les jeunes issus de familles non favorisées ou peu diplômées. Nos enfants ou petits-enfants sont, dans leur très grande majorité, confrontés, au collège puis au lycée, à un niveau d’exigence en sciences qui est notoirement plus bas que ce que nous avons connu, ce qui a pour effets pervers de pousser en masse ceux qui le peuvent vers le lucratif marché du soutien scolaire, et vers l’enseignement privé. Bien plus que par le passé.
Réformer le système d’enseignement
Pour que la promesse républicaine de l’élévation par le travail reste tenue, il est impératif de refonder la méritocratie. Cela suppose un retour vers plus d’exigence en classe couplé avec un mouvement vers plus d’égalité de chances - ces deux dimensions devant aller de pair. En appui aux enseignants, l’intelligence artificielle pourrait y contribuer. Mais surtout, il faut inscrire la politique scolaire dans une perspective stable, avec des objectifs clairs et cohérents, débarrassés des multiples agendas opportunistes non liés à la transmission des savoirs.
L’inquiétant effondrement du nombre de filles admises à Polytechnique
Si cette problématique concerne toutes les disciplines scolaires, elle est particulièrement critique en sciences. Des travaux d’économistes ont montré que la stagnation de la productivité du travail en France est pour partie imputable au recul du niveau en mathématiques. Par ailleurs, l’ubiquité des réseaux sociaux favorise des attaques inédites contre les sciences, rendant plus que jamais crucial le développement du doute informé et de l’esprit critique de notre jeunesse. Pour progresser dans ce sens, chaque génération doit acquérir une culture scientifique de base, tout aussi essentielle pour la formation des citoyens que les sciences humaines et sociales.
L’enjeu est majeur. Pour que des réformes efficaces de notre système d’enseignement puissent être mises en place, un engagement collectif est nécessaire. Anciens d’écoles remarquables, nous avons bénéficié de conditions d’études exceptionnelles, qui nous ont menés vers des situations enviables dans presque toutes les filières professionnelles. Nous avons la responsabilité de contribuer à cet effort national.
Consulter la tribune sur Les Échos
Credits photo : Istock

Commentaires0
Vous n'avez pas les droits pour lire ou ajouter un commentaire.
Articles suggérés