Franck Varenne - 8/06 - "Devant l’urgence, comprendre et faire comprendre les modèles"
Les modèles sont suspectés d’être trompeurs surtout quand ils doivent prédire des systèmes ouverts et évolutifs. Mais peut-on construire un regard critique sur eux qui ne les disqualifie pas pour autant aux yeux des non spécialistes dès lors que nous en avons encore tant besoin pour agir dans un monde désormais reconnu comme non seulement ouvert et évolutif mais aussi et surtout comme fini ?
Résumé
Cet exposé insistera sur trois idées : les modèles doivent être faisables, critiquables mais néanmoins acceptables. Les modèles sont omniprésents tant pour informer nos représentations que pour guider nos actions.
Dans un premier temps, je montrerai qu’ils ont une grande variété de fonctions et d’usages, mais qu’il est possible de les distinguer de façon à ne pas attendre d’eux plus que ce qu’ils peuvent donner.
Ensuite, j’aborderai la question de la critique des modèles : à quel niveau doit-elle se placer ? quels outils conceptuels doit-elle mobiliser ? Je formulerai l’hypothèse qu’un modèle mathématique aussi « moins-disant » soit-il - c’est-à-dire qu’il soit non paramétrique ou réduit à un algorithme d’IA numérique œuvrant pour la pure prédiction par exemple - impose toujours peu ou prou une hypothèse métaphysique d’un type ou un autre sur le fonctionnement des données et donc du réel, une hypothèse de symétrie par exemple.
Dans un dernier temps, je tâcherai toutefois de montrer que l’inexistence de modèle dépourvu de toute hypothèse métaphysique sous-jacente à son formalisme ne conduit pas pour autant à justifier une méfiance généralisée à l’égard des modèles et de leurs supposées biais inexpugnables. À une époque où la plupart des systèmes complexes, physiques, vivants, humains ou mixtes sont reconnus comme ouverts et évolutifs, je rappellerai, à l’aide de plusieurs exemples, qu’il existe souvent des stratégies pour en proposer malgré tout des modèles à la fois faisables et explicitement critiquables, cela dans certaines limites.
Il restera alors à se poser cette dernière question : si l’imprévisibilité radicale (l’historicité, l’innovation) ne peut certes pas faire l’objet d’une modélisation stricte, dans quelles conditions doit-on concevoir ces modèles faisables pour qu’ils inspirent loyalement une confiance raisonnable, qu’ils soient également acceptables pour les non-spécialistes (les citoyens, la société civile) et permettent en retour d’inciter à l’action collective éclairée, si nécessaire aujourd’hui dans un monde fini ?