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Science et philosophie : quelle distinction et quel point de contact ? 11/04

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Science et philosophie : quelle distinction et quel point de contact ? 

Contemporanéité épistémologique de la phénoménologie

A l’heure où les sciences sont de plus en plus critiquées, où les réseaux sociaux ont démultiplié la puissance de diffusion des « fake news » et des vérités alternatives, où les stratégies d’influence et de combat entre « vérités » sur le cyberespace sont devenues un nouveau champ de combat militaire, au même titre que la terre, la mer et les airs, il est grand temps d’actualiser la compréhension que nous avons aujourd’hui de l’enracinement épistémologique des sciences afin d’élever des esprits aptes à discerner entre l’idéologie, la scholastique et la connaissance scientifique.

Carlos Lobo viendra nous faire part de l'actualisation du projet Husserlien qui relie sciences et philosophie, concept et opération, objet et sujet.


BIOGRAPHIE

Carlos Lobo est chercheur associé aux Archives Husserl UMR 8547. Ses champs de recherche sont la phénoménologie, la philosophie des sciences, la philosophie de la logique et l’histoire de la philosophie.

Ses recherches l’ont engagé dans une reprise et un renouvellement du projet husserlien de critique de la raison pure, comme raison à l’œuvre, une critique qui ne peut donc faire l’économie de l’opératoire et du sujet à l’œuvre, aux racines de l’historicité des sciences. 

Cela suppose qu’une logique formelle qui ne renonce pas à rendre compte de ce que la science doit prendre en charge : à savoir cette dimension synthétique de la connaissance, exposée par essence aux péripéties modales du sens (confirmation, invalidation, limitation, réfutation, etc.). Or tel est le projet de réforme de la logique porté par les tenants de l’école Brentanienne, et Husserl en particulier.

Cela l’a conduit , également, à l’idée de phénoménologie de l’analogie, telle qu’elle fonctionne au sein des sciences formelles, en particulier en mathématiques. Comme on le sait, l’analogie joue un rôle privilégié dans la recherche dans les sciences de la nature, désormais largement reconnu. De fait, un courant important de la philosophie des sciences, placé ou non sous le patronage de Kant, insiste sur le rôle extrinsèque de l’analogie par rapport au développement de la pensée mathématique. Que ce soit en physique ou dans l’interaction entre physique et mathématique, l’analogie est définie comme une « similitude porteuse de sens entre des éléments, souvent par-delà les dissemblances matérielles » qui n’a d’autres fonctions que de guider « le choix des faits » (Poincaré) « susceptible, s’il est fécond, de révéler des parentés insoupçonnées entre d’autres faits ». Poincaré semble donc aller en ce sens en déclarant que « l’analogie n’a qu’un rôle métathéorique, qualifiant et généralisant une propriété des objets du raisonnement, révélée par celui-ci, plutôt que désignant un aspect de ce dernier ». 

Ce projet de recherche part de l’hypothèse d’une fonction dynamique interne de l’analogie dans le développement de la pensée mathématique. Il prend appui pour ce faire sur une investigation déjà conduite à partir des travaux du mathématicien Gian-Carlo Rota qui se placent eux-mêmes à la croisée de l’algèbre, de la logique, de la physique mathématique et de la phénoménologie. Cette incursion m’a permis de donner corps et actualité à l’idée husserlienne de la logique pure comme théorie de la science, et à son projet de réforme de la logique débouchant sur une logique qui soit à la fois formelle et conceptuelle, proposant une algébrisation sans renoncer pour autant à rendre compte de l’activité synthétique de la connaissance. 

Une situation comparable s’observe en ce qui regarde la théorie des topos de Grothendieck, qui opère une transformation en profondeur du champ des mathématiques et permet, comme le montrent les approches convergentes sur ce point de Caramello, Zalamea et Alain Connes, etc. d’établir la nécessité d’une épistémologie qui tienne compte de la dimension synthétique des mathématiques. Le topos est, d’après Grothendieck lui-même, le lit ou la rivière profonde où viennent s’épouser la géométrie et l’algèbre, la topologie et l’arithmétique,  la logique mathématique et la théorie des catégories, le monde du continu et celui de structures discontinues ou discrètes. Parce qu’elle est opératoire, cette montée à la généralité ne s’évapore pas dans l’univers éthérée des généralités « formelles » (analytiques), mais correspond à une véritable « essence commune », ou en termes husserliens, à un « eidos » permettant d’opérer des transferts d’un domaine en un autre apparemment éloigné. Il est intéressant de répertorier les usages ou mésusages auxquels ont donné lieu les « topos » de Grothendieck, qui n’est, il est vrai, qu’un outil dans la multitude de ceux que fournissent les mathématiques modernes.

 

Bibliographie

H. Weyl, Philosophie des Mathématiques et des sciences de la nature, Préface co-écrite avec Françoise Balibar, MétisPresse, Genève, 2018, 420 p.

Weyl and the Problem of Space, From Science to Philosophy, Co-dir. avec Julien Bernard, Coll.: Studies in History and Philosophy of Science, Springer, Berlin- Dordrecht, 2019

When Form Becomes Substance, Power of Gestures, Diagrammatic Intuition and Phenomenology of Space. Editor Luciano Boi & Carlos Lobo, Birkhäuser/Springer; 2022.

Geometry and Phenomenolgy of the Living, in Theory of Biosciences, Codirection C Lobo & Luciano Boi, Special Issue, June, Number 142, 2022.

Contemporanéités épistémologiques de la phénoménologie, Spartacus/IDH, 2024.

 

 
Approfondissement
Parler de contemporanéité entre philosophie et théories scientifiques, c’est souscrire à l’idée bachelardienne qu’un progrès des sciences peut s’accompagner d’un progrès en philosophie. 
Cette notion de progrès nous ne la refusons pas absolument. Mais elle n’est et n’a peut-être jamais été qu’un mot approximatif pour désigner autre chose, la présence lointaine et fantomatique d'une idée à laquelle une subjectivité « en fonction » se rapporte, et dont la persistance historique ne peut être récusée, même au beau milieu des bouleversements les plus profonds.
L’actualité ici en jeu n’a donc elle-même de sens qu’à revenir inlassablement aux actes d’une subjectivité impliquée dans la science et d’ordinaire oublieuse d’elle-même, une subjectivité que Husserl qualifie de transcendantale. Celle-ci doit se décrire, comme l’activité d’une conscience de rationalité, c’est-à-dire d’une conscience humaine, finie, incarnée et entourée des prothèses techniques (symbolismes, instruments de mesure, dispositifs expérimentaux, etc.) qu’elle constitue. L’épistémologie s’oblige ainsi à explorer les actes positionnels dans leurs fluctuations et modifications, à l’origine des positivités des sciences (théorème, concept, fait, loi, théorie, etc.), et à décrire ce que nous nommons après Husserl « l’ABC » ou la « syntaxe des actes de conscience ».
Le mathématicien Hermann Weyl est de ce point de vue une figure centrale, car il admet d’emblée cette configuration épistémologique qu’il nomme « interpénétration mutuelle » (wechselseitige Durchdringung) entre philosophie et sciences. Il affirme ainsi qu'une proposition scientifique, une théorie, etc.  sont absurdes sauf à se préoccuper du sujet qui s’y trouve impliqué et à en décrire l’activité thétique, positionnelle, etc. Alors que la philosophie et la science se dépêtraient à l’époque, comme à la nôtre, au milieu d’un double écueil, celui de l’idéologie ou de la scolastique, avec une sûreté rare, Weyl reprend à son compte ce qui constitue le sérieux de la philosophie. Cela explique que, dans le contexte qui fût le sien, Weyl se soit tourné entre autres vers la phénoménologie husserlienne, et, à travers elle, vers ce qui constitue à la fois la distinction et les points de contact intime entre science et philosophie.
 
L’épistémologie prendra donc la forme d’une explicitation de cette activité subjective; voire, celle d’une réforme de la pratique scientifique, devenue assez mûre et réflexive pour faire apparaître et thématiser, sous forme de procédés constructifs, des opérations que le « sujet » théorisant a mise en œuvre et qui constituent les ressources de sa théorisation.


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