Parcours d'alumni : Charles-Édouard Vincent (X91), fondateur de Lulu dans ma rue
La révolution numérique peut-elle poser les bases d’une solidarité 2.0 ? C’est le pari de Charles-Édouard Vincent (91), le « père » de Lulu dans ma rue, une start-up solidaire qui met le lien social comme finalité et moyen de son action. Et qui a de grandes ambitions pour faire évoluer la société.
La Jaune et la Rouge est allée rencontrer cet X atypique passé des glorieuses rives de la Silicon Valley à la lumineuse éclosion de Lulu dans ma rue, dans une impérieuse quête de sens.
« Après l’École des ponts et Stanford, j’ai eu une première vie dans l’entreprise classique avec une dizaine d’années chez Netscape. C’était l’époque exaltante du lancement d’internet et j’ai travaillé avec des gens extraordinaires. Puis j’ai eu envie de faire quelque chose qui ait du sens. À trente-deux, trente-trois ans, j’ai pris un grand virage et ai vécu une deuxième tranche de vie à Emmaüs pendant dix ans en fondant Emmaüs Défi. Ce fut une rencontre avec les plus fragiles, les SDF : c’est là que sont les racines de Lulu dans ma rue. »
Netscape + Emmaüs Défi = Lulu dans ma rue
« Lulu dans ma rue est un peu une synthèse de ces deux tranches de vie : une start-up où l’économique est très présent mais dont la finalité est vraiment de recréer une société réconciliée. C’est un projet très ambitieux au niveau économique mais avec l’ambition de faire de Lulu un outil pour recréer du lien dans notre société. Et surtout recréer de l’entraide, de la solidarité locale au niveau du quartier, non pas dans une visée simplement caritative mais dans une logique de donner du travail qui donne de la dignité. Avec Emmaüs Défi, on avait choisi d’accueillir des gens qui refusaient tout type d’aide dans une structure de travail. On ne leur proposait pas un hébergement mais du travail comme moyen de reprendre part à la société. Au début, on nous a pris pour des fous car les travailleurs sociaux pensaient qu’il fallait commencer par donner un logement. Notre objectif était de donner du travail heure par heure en fonction des capacités des personnes, une fois de temps en temps, pour redonner espoir. Sur une dizaine de SDF rencontrés, 8 ou 9 terminaient avec un emploi salarié. Il fallait 6 à 9 mois de ce travail à l’heure, très progressif, car les personnes ne sont souvent pas en état de travailler plus de 2 ou 3 heures par jour et de tenir un contrat. Ce dispositif s’appelait : “les premières heures”. Ensuite s’ouvraient des chantiers d’insertion avec un contrat tous les jours. »
Trouver le chaînon manquant après Emmaüs Défi
« Mais l’objectif de toutes les structures de réinsertion, c’est de ramener à l’emploi dans l’entreprise. Or, à Emmaüs Défi, je voyais bien que c’était irréaliste pour beaucoup de personnes. Soit elles n’avaient jamais travaillé en entreprise, soit leur expérience les avait broyées. Je voyais bien que, dans les dispositifs d’insertion, il y avait un chaînon manquant car, après Emmaüs Défi, il n’y avait plus rien pour elles, ce qui constitue même une rupture supplémentaire. Donc je voulais réinventer les “petits boulots” qui permettent à chacun de trouver sa place dans le village, dans le quartier, ainsi qu’un environnement qui protège, qui puisse remplacer la famille, souvent absente des parcours de vie des personnes en réinsertion. Pour moi, la “famille d’accueil” est sûrement dans le quartier, limité géographiquement, où je suis connu et où je connais les gens, où je suis en sécurité. »
Petits boulots et grandes souffrances contemporaines
« On trouve tout sur internet mais pas les demandes les plus simples ou anodines : me faire une petite course rapide, s’occuper de mon chat pendant les vacances, changer mes tringles à rideaux. Monnayer ces services crée du travail, lui donne une valeur objective et implique un engagement de responsabilité, de travail bien fait en un cercle vertueux pour nos microentrepreneurs qu’on appelle les “Lulus”. Il y a aussi des situations d’extrême solitude dans les villes. C’est là que Lulu offre un service marchand mais pas uniquement. D’un côté, c’est professionnel, j’ai un business plan, des investisseurs, etc. Mais tout cela est au service du lien social. Le service rendu est le support de la rencontre entre deux personnes. C’est gratuit, ça peut faire très “bisounours”, mais la réalité est que notre société, à force de tout définir à coups de marketing, de process, de prestation normée, oublie cette dimension humaine et en fait, tout le monde en souffre. »
Retrouvez l'intégralité de l'interview : Lulu dans ma rue, la start-up qui refonde la vie de quartier
Propos recueillis par Alix Verdet
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